54

  Heidi Milligan vient à la rencontre de Pitt au moment où il arrive à l’hôpital de la Marine de Bethesda. Sa blonde chevelure est couverte à demi d’une écharpe, et, bien que ses traits soient marqués par la fatigue, elle garde son allure vive et sa jeunesse.

— Comment va l’Amiral ? lui demande Pitt.

  Elle lui adresse un regard las.

— Il se bat. Walt est costaud, il s’en tirera.

  Pitt n’en croit pas un mot. Heidi se raccroche bravement à un fétu d’espoir qui menace de se briser. Il la prend par la taille et l’entraîne affectueusement dans le couloir.

— Est-il en état de me parler ?

— Les médecins n’approuvent guère cette entrevue, mais Walt y tient, lui, depuis que je lui ai transmis votre message.

— Je me garderais bien d’insister si ce n’était pas important.

— Je le sais, dit-elle en le regardant dans les yeux.

  Ils arrivent à la porte. Heidi l’ouvre et fait signe à Pitt d’approcher du lit.

  Pitt a une sainte horreur des hôpitaux. L’odeur écœurante de l’éther, l’ambiance déprimante, le comportement professionnel : l’indifférence des médecins et des infirmières, ne manquent jamais de l’accabler. Il se l’est promis depuis longtemps : lorsque son tour viendra, il entend mourir chez lui et dans son lit.

  Et sa résolution se fait plus forte en cet instant où il revoit l’amiral pour la première fois depuis le Colorado. La pâleur cireuse du visage du vieil homme se confond avec la blancheur de l’oreiller, et sa respiration pénible se mêle au sifflement de l’appareil respiratoire. Des tubes fixés à ses bras, d’autres passés sous les draps lui apportent sa subsistance et évacuent ses déjections. Son corps, jadis musculeux, s’est décharné.

  Un médecin s’approche et pose la main sur le bras de Pitt.

— Je ne crois pas qu’il ait la force de parler.

  L’amiral Bass tourne lentement la tête, et il fait un imperceptible signe de la main.

— Approchez, Dirk, murmure-t-il d’une voix rauque.

  Le médecin se résigne.

— Je reste à proximité, à tout hasard, dit-il en sortant et refermant la porte.

  Pitt apporte une chaise près du lit et se penche.

— Cette ogive de « Mort Subite », demande-t-il, comment se comporte-t-elle pendant sa chute ?

— Animée… par la force centrifuge… du canon rayé.

— Je vois, répond Pitt à voix basse. Les cannelures en spirale de l’âme du canon forcent le projectile à tourner sur lui-même et créent la force centrifuge.

— Qui met en action un moteur… qui déclenche… à son tour… un radar altimétrique.

— Vous voulez dire un altimètre barométrique ?

— Non… un mécanisme barométrique n’agirait pas, murmure l’amiral. Les obus de marine de gros calibre ont une extrême vélocité… une trajectoire trop tendue… trop basse… pour être sensibles aux indications barométriques… d’où la nécessité… d’employer le radar… qui guide le projectile selon… le signal répercuté par le sol…

— Il me semble impossible qu’un radar altimétrique puisse supporter les forces extraordinaires d’accélération quand le canon fait feu.

  Bass ébauche un faible sourire.

— C’est moi-même qui ai calculé la charge. Croyez-moi sur parole… l’instrument supporte fort bien… la poussée initiale de l’explosion.

  L’amiral reste immobile, les yeux fermés, épuisé par l’effort. Heidi s’avance et pose doucement la main sur l’épaule de Pitt.

— Je préférerais que vous reveniez cet après-midi.

— Je comprends, lui dit doucement Pitt, mais il sera trop tard.

— Vous allez le tuer, répond Heidi navrée et les yeux pleins de larmes.

  Walter Bass avance la main et saisit faiblement Pitt par le poignet. Ses yeux se rouvrent.

— J’avais simplement besoin… de souffler une minute… Ne partez pas… C’est un ordre.

  Heidi peut lire une expression de pitié dans le regard de Pitt. Elle s’éloigne un peu à contrecœur. Pitt se penche de nouveau.

— Que se passe-t-il ensuite ?

— Lorsque le projectile a atteint son apogée et commence son retour au sol, l’indicateur omnidirectionnel commence à enregistrer la déperdition d’altitude…

  La voix de l’amiral s’éteint, et Pitt attend patiemment.

— … à 500 mètres du sol un parachute se déploie, ralentit la chute du projectile et actionne un détonateur.

— A 500 mètres, le parachute s’ouvre, répète Pitt.

— A 300 mètres, le détonateur agit, fragmente l’ogive du projectile… et libère une gerbe de petites cartouches qui contiennent le micro-organisme de « Mort Subite ».

  Pitt s’adosse à sa chaise et se répète mentalement la description du fonctionnement du projectile. Il épie le regard qui s’éteint peu à peu.

— Et les coordonnées de temps. Amiral ? Quel est le délai entre l’ouverture du parachute et l’explosion de l’ogive ?

— C’est trop ancien… impossible de me le rappeler.

— Faites un effort, je vous en supplie, implore Pitt.

  Bass est visiblement aux portes de la mort. Il lutte pour contraindre son cerveau à fonctionner, mais les cellules nerveuses répondent mal. Enfin, l’expression d’effort disparaît, et il murmure :

— Il me semble… n’en suis pas certain… trente secondes…  La vitesse de chute est d’environ 6 mètres/seconde…

— Trente secondes ? reprend Pitt pour vérifier.

  La main de l’amiral abandonne son poignet retombe sur le drap. Les yeux du vieux marin se ferment, et il sombre dans le coma.

 

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